DROITS DE L’ENFANT
Rapport présenté par Juan Miguel Petit, Rapporteur spécial sur la vente d’enfants,
la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants
Additif
Mission en France, 25-29 novembre 2002*
Résumé
Le Rapporteur spécial sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants, Juan Miguel Petit, s’est rendu en France du 25 au 29 novembre 2002. Il avait souhaité effectuer cette visite après avoir reçu des informations au sujet d’un certain nombre d’enfants français qui seraient victimes de pédophilie et de pornographie, ainsi que de cas de traite d’enfants et de prostitution des enfants.
Pendant sa visite, le Rapporteur spécial s’est entretenu avec de hauts responsables du Gouvernement, des membres de la police et du pouvoir judiciaire, des représentants d’ONG, des victimes et des organisations et des personnes concernées. Il s’est rendu au siège de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) et dans un centre pour enfants à Chambon, et a parlé à des représentants des médias français.
Le présent rapport est axé sur la vente d’enfants dans le contexte de la traite et de la prostitution des enfants, ainsi que sur la pornographie impliquant des enfants et sur les liens entre ce phénomène et les abus sexuels sur enfants au sein de la famille. En ce qui concerne la vente d’enfants, la traite et la prostitution des enfants, il contient des informations fournies au Rapporteur spécial par la Défenseure des enfants, la police, des ONG et divers ministères.
Selon ces informations, le phénomène de la traite existe en France et concerne des enfants originaires essentiellement d’Europe orientale, surtout de Roumanie et d’Afrique de l’Ouest, mais aussi d’Asie, notamment de pays comme l’Inde et la Chine. Beaucoup de ces enfants, pour ne pas dire la plupart, sont aux mains de réseaux de trafiquants et livrés de force à la prostitution. Le Gouvernement français commence à travailler avec les autorités des pays concernés, en particulier avec la Roumanie avec laquelle il a signé un accord bilatéral en 2001 qui porte sur le retour des enfants dans ce pays.
Les informations concernant la pornographie impliquant des enfants et les abus sexuels sur enfants émanent de la police, du pouvoir judiciaire, de membres des professions médicales, d’ONG et de personnes concernées. Selon ces informations, la pornographie impliquant des enfants est parfois liée aux abus sexuels sur enfants dans la famille, généralement lorsque les parents sont séparés. Le Rapporteur spécial insiste en particulier sur les procédures judiciaires visant à protéger les enfants des auteurs présumés des abus, ainsi que sur les allégations selon lesquelles les personnes qui tentent de mettre les victimes à l’abri de nouveaux sévices sexuels se trouvent parfois en butte à des sanctions disciplinaires, civiles ou pénales.
Le présent rapport contient un certain nombre de conclusions et de recommandations qui complètent celles contenues dans la note préliminaire sur la mission présentée par le Rapporteur spécial à la Commission des droits de l’homme à sa cinquante-neuvième session
(E/CN.4/2003/79/Add.2).
Annexe
RAPPORT DU RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LA VENTE D’ENFANTS,
LA PROSTITUTION DES ENFANTS ET LA PORNOGRAPHIE
IMPLIQUANT DES ENFANTS, JUAN MIGUEL PETIT,
SUR SA MISSION EN FRANCE (25-29 novembre 2002)TABLE DES MATIÈRES | | Paragraphes | Page |
Introduction | | 1 - 3 | 4 |
I. | HISTORIQUE DE LA VISITE | 4 - 7 | 4 |
II. | VENTE D’ENFANTS ET PROSTITUTION DES ENFANTS | 8 - 30 | 5 |
III. | LA PORNOGRAPHIE IMPLIQUANT DES ENFANTS ET LES ABUS SEXUELS À L’ENCONTRE D’ENFANTS | 31 - 66 | 10 |
IV. | VISITE DU CENTRE POUR ENFANTS DE CHAMBON | 67 - 71 | 18 |
V. | CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS | 72 - 90 | 19 |
Introduction 1. Le Rapporteur spécial, Juan Miguel Petit, s’est rendu en France (Paris, Saint-Étienne et Lyon) à l’invitation du Gouvernement français. Il avait souhaité faire cette visite après avoir reçu des informations au sujet d’un certain nombre d’enfants français qui seraient victimes de pédophilie et de pornographie. Il avait également reçu des informations au sujet des efforts que la France déployait pour lutter contre le problème de la traite d’enfants et de la prostitution des enfants. Le Rapporteur spécial tient à remercier le Gouvernement français du très haut niveau de coopération et d’assistance dont il a bénéficié pendant toute sa visite.
2. Durant sa mission, le Rapporteur spécial a rencontré le Ministre délégué à la famille, l’Ambassadeur chargé des droits de l’homme, des représentants de haut niveau des Ministères des affaires étrangères, de la justice et des affaires sociales, du travail et de la solidarité, le Président du Tribunal pour enfants, le Président du Tribunal de grande instance, la Défenseure des enfants, des policiers de la Brigade de la protection des mineurs et de l’Office central de répression de la traite des êtres humains, le Comité national français pour l’UNICEF et le Président de la Sous-Commission «droits de l’enfant» de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, et il s’est rendu dans un centre pour enfants à Chambon (Saint-Étienne).
Il s’est entretenu avec des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG), des universitaires et des médecins, ainsi qu’avec des membres de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) à Lyon. Il a en outre rencontré des représentants des médias français et les parents de jeunes victimes.
3. Étant donné que la fin de la visite (29 novembre 2002) et la date limite fixée pour la présentation de la documentation destinée à la cinquante-neuvième session de la Commission des droits de l’homme (15 décembre 2002) étaient très proches, une brève note préliminaire (E/CN.4/2003/79/Add.2) sur la mission en France a été établie. Le présent rapport contient les conclusions détaillées du Rapporteur spécial, ainsi que des informations reçues depuis cette mission.
I. HISTORIQUE DE LA VISITE
4. À Genève, en avril 2002, le Rapporteur spécial s’est entretenu avec des représentants d’ONG qui l’ont informé qu’un certain nombre de Françaises déménageaient en Suisse et y vivaient clandestinement avec leurs enfants, dans le but de se mettre à l’abri de la justice française qui les obligeait à confier régulièrement leurs enfants au mari ou au compagnon dont elles étaient séparées. Ces femmes ont dit avoir fui la France pour ne pas avoir à se conformer à ces décisions de justice car elles avaient la conviction que leurs enfants étaient victimes d’abus sexuels et parfois utilisés par leur père ou d’autres personnes à des fins de pornographie.
Le Rapporteur spécial a également reçu des informations sur d’autres cas dans lesquels un parent, généralement la mère, avait choisi de rester en France et de se conformer aux ordres d’un tribunal civil accordant des droits de visite au père tout en intentant une procédure pénale contre lui pour abus sexuels.
5. Le Rapporteur spécial a reçu des informations émanant d’un médecin qui avait fait l’objet d’une série de mesures disciplinaires du Conseil national de l’ordre des médecins, pour avoir établi un certain nombre de certificats confirmant que les enfants qu’elle avait examinés avaient été victimes d’abus sexuels. Dans chaque cas, l’auteur présumé des faits avait porté plainte devant le Conseil, accusant le médecin d’avoir délivré des certificats de complaisance, autrement dit de faux certificats, pour aider la mère à obtenir la garde de l’enfant à l’issue de la procédure de divorce. Le médecin a été accusé de dénonciation calomnieuse, ainsi que d’avoir porté de fausses accusations. Toutefois, selon les informations reçues, ses diagnostics avaient été confirmés par d’autres experts dans chaque cas.
6. Le Rapporteur spécial a écrit au Conseil national de l’ordre des médecins le 23 janvier 2002 au sujet de ces cas et a reçu une réponse détaillée le 30 janvier 2002.
7. Avant sa visite en France, le Rapporteur spécial avait adressé deux communications au Gouvernement concernant le cas de deux enfants qui seraient victimes de pornographie impliquant des enfants et d’abus sexuels. Après sa visite, il a porté un certain nombre de cas analogues à l’attention du Gouvernement et, au moment de la présentation du présent rapport, continuait d’être informé de nouveaux cas. Pour protéger l’identité des enfants concernés, leurs noms ne seront pas publiés dans le présent rapport mais, comme dans tous les cas portés à l’attention des gouvernements, les courriers qui leur ont été adressés contenaient les détails pertinents, y compris les noms des victimes. On trouvera au chapitre III des détails sur ces communications.
II. VENTE D’ENFANTS ET PROSTITUTION DES ENFANTS
8. Le Rapporteur spécial a reçu des informations détaillées concernant la traite d’enfants et la prostitution impliquant des enfants émanant, entre autres, de la Défenseure des enfants, de ministères du Gouvernement, de la police, notamment de l’Office central de répression du trafic des êtres humains et de la Brigade de la protection des mineurs, ainsi que de plusieurs ONG.
La Défenseure des enfants9. La Défenseure des enfants, Mme Claire Brisset, a indiqué que la prostitution était en hausse et que les enfants étaient de plus en plus nombreux à s’y livrer. Elle s’était rendue dans les quartiers chauds de Paris avec les membres d’une ONG qui les sillonnent en voiture pour apporter une aide aux prostitués, notamment sous forme de produits alimentaires et d’articles d’hygiène, et avait appris que les femmes et les enfants, y compris des garçons, qu’elle rencontrait, venaient d’Europe orientale, de Roumanie pour la plupart mais aussi de Bulgarie, ainsi que d’Afrique de l’Ouest, et en particulier de Sierra Leone, du Libéria, du Ghana et du Nigéria.
10. Les femmes et les jeunes filles d’Europe orientale sont souvent amenées de force en France par des réseaux organisés qui les abusent par divers moyens, soit qu’il leur promettent des emplois respectables et bien payés, soit que certains de leurs membres nouent des relations amoureuses avec elles, les rendant ainsi dépendantes d’eux et plus faciles à manipuler. Lorsque la jeune fille est en France, les réseaux n’hésitent pas à menacer les membres de sa famille restés au pays pour s’assurer qu’elle obéira aux ordres et se prostituera. Les jeunes roumains qui se prostituent en France y sont venus à l’origine de leur propre gré, ou sur l’ordre de réseau, pour voler l’argent des parcmètres. Mais pendant le mois d’août, le parking est gratuit et les garçons doivent trouver d’autres moyens de survivre. Depuis 2000, les citoyens roumains n’ont plus besoin de visa pour venir en France, et il est donc plus facile aux femmes et aux enfants de s’y rendre ou aux trafiquants de les y faire entrer illicitement.
11. Les trafiquants donnent pour consigne aux femmes et aux jeunes filles d’Afrique de l’Ouest qu’ils introduisent illicitement en France pour qu’elles s’y prostituent de dire aux autorités qu’elles viennent de zones de conflits, afin de pouvoir demander l’asile. Si elles reconnaissent venir de certains pays, comme le Nigéria, elles sont généralement expulsées immédiatement.
12. La plupart des enfants victimes de la prostitution ont généralement de 15 à 18 ans et sont aux mains de souteneurs et de réseaux qui les équipent de téléphones portables pour rester en contact avec eux et leur ordonner de retourner au travail s’ils tentent de se reposer. Aujourd’hui, un grand nombre de souteneurs et de proxénètes vivent dans des pays voisins, comme la Belgique et l’Allemagne, et chargent des prostitués plus anciens dans le métier de surveiller les enfants. Les enfants victimes de la traite sont généralement mis au travail à Paris pour commencer, puis souvent envoyés dans d’autres villes, comme Bordeaux et Marseille.
La police13. Le Rapporteur spécial a rencontré des représentants de trois services de la police - l’Office central de répression de la traite des êtres humains, qui lui a donné des informations sur la traite d’enfants et la prostitution des enfants, la Division nationale pour la répression des atteintes aux personnes et aux biens, qui l’a mis au courant de ce qu’elle faisait pour lutter contre la pornographie impliquant des enfants, et la Brigade de la protection des mineurs, qui s’occupe de ces deux questions.
14. L’Office central de répression de la traite des êtres humains a été créé en 1958 et relève directement de la Direction centrale de la police judiciaire. Il coordonne l’action des différents services qui luttent contre la traite et la prostitution. Chacune des divisions de la police judiciaire comporte une brigade de lutte contre la prostitution. Selon l’Office, s’il est vrai que la prostitution se développe considérablement, l’utilisation de mineurs à cette fin est un phénomène relativement nouveau et la plupart des victimes font l’objet d’un trafic en provenance d’Europe orientale et d’Afrique de l’Ouest.
15. L’Office a dit au Rapporteur spécial qu’il parvenait à démanteler une vingtaine de réseaux chaque année. Toutefois, les mineurs auxquels il avait eu affaire au cours de ses opérations n’avaient généralement pas loin de 18 ans, il n’avait pas encore démantelé de réseaux portant uniquement sur des enfants et ne pouvait pas en confirmer l’existence. Il est extrêmement difficile de déterminer l’âge des victimes étant donné que la plupart des femmes et des enfants arrivent en France avec des pièces d’identité fausses, ou sans papiers du tout. Un examen aux rayons X permet de déterminer l’âge approximatif de l’intéressé d’après ses os, mais il n’est pas entièrement fiable.
16. Selon les estimations de l’Office, le nombre de prostitués connus travaillant en France est de 15 000 à 18 000, dont la moitié à Paris. Pour les prostitués qui travaillent dans des lieux publics à Paris, comme la rue, mais sans compter ceux qui opèrent dans les bars par exemple, l’Office a fourni les chiffres suivants qui comprennent à la fois les mineurs et les adultes: 44 % sont Français et 56 % étrangers. Sur les non-Français, 45,7 % viennent d’Europe orientale et des Balkans, et 37 % d’Afrique.
17. En 2001, 466 souteneurs ont été mis en examen et emprisonnés pour exploitation de la prostitution, dont 341 (73 %) étaient des hommes; 243 étaient Français. Leurs victimes étaient au nombre de 607, dont 21 hommes et 586 femmes; 418 (70 %) étaient étrangers et les 189 autres étaient Français. L’Office estime que 95 % des prostitués étrangers travaillent pour un souteneur.
18. L’Office indique avoir constaté une légère diminution de ces cas depuis que la police s’y intéresse de plus près. Certains souteneurs et proxénètes sont allés ailleurs, essentiellement en Espagne, en Italie, en Allemagne et en Belgique.
19. Le Rapporteur spécial a rencontré des membres de la Brigade de la protection des mineurs de Paris, qui compte 73 membres répartis en deux sections, l’une s’occupant des problèmes intrafamiliaux et l’autre de ceux qui se posent en dehors de la famille, y compris la prostitution.
La Brigade a indiqué que la situation particulière des enfants des rues et des enfants qui se prostituent à Paris n’était pas représentative de ce qui se passait dans le pays dans son ensemble, mais elle a confirmé que les jeunes étrangers qui étaient attirés à Paris travaillaient aussi dans des villes méditerranéennes et que la situation des jeunes roumains était particulièrement préoccupante. Elle a en outre exprimé des doutes quant à l’existence de réseaux hautement organisés, spécialisés dans la traite d’enfants et la prostitution impliquant des enfants.
20. La Brigade a expliqué comment elle procédait dans le cas d’un mineur prostitué.
Une nouvelle loi, entrée en vigueur en 2001, autorise la police à arrêter les personnes soupçonnées d’être les clients de prostitués de moins de 18 ans, même avant l’acte sexuel.
Auparavant, solliciter les services sexuels d’un mineur n’était un délit que si celui-ci avait moins de 15 ans. La nouvelle loi autorise la police à procéder à une arrestation lorsqu’elle voit un individu se comporter d’une manière suspecte avec un jeune dont elle soupçonne qu’il est mineur, ou lorsqu’elle voit l’enfant monter dans la voiture de l’individu. Après l’arrestation, le client comme le mineur sont amenés au siège de la Brigade où le client est détenu et interrogé.
Les mineurs qui racolent peuvent aussi être arrêtés, même s’ils n’ont pas de clients, car ils sont considérés comme des enfants en danger.
21. L’enfant est photographié et amené aux urgences de l’hôpital où il ou elle est examiné(e), y compris aux rayons X, pour déterminer son âge approximatif. Si l’hôpital confirme que l’intéressé a moins de 18 ans, la Brigade poursuivra la procédure pénale contre le client qu’elle a arrêté. La police a pour instructions de considérer l’enfant comme la victime.
22. La police s’efforcera d’obtenir des renseignements précis de l’enfant qui, très souvent, ne dira pas la vérité. Une mesure de protection éducative est prise dans la plupart des cas, qui consiste généralement à placer l’enfant dans un foyer temporaire pour quelques jours en attendant qu’il soit décidé de son avenir immédiat. En septembre 2001, la France et la Roumanie ont signé un accord bilatéral en vertu duquel, lorsque la France renvoie un enfant roumain dans son pays, celui-ci bénéficiera d’une assistance et d’un suivi après son retour pour ne pas se retrouver dans la situation qui l’a contraint à partir. La Brigade indique toutefois que la majorité de ces enfants s’enfuient des foyers temporaires avant d’être renvoyés chez eux ou placés dans un établissement éducatif.
23. La Brigade de la protection des mineurs a indiqué qu’en 2002, 83 mineurs - 68 garçons et 15 filles - avaient été conduits à son siège après avoir été arrêtés pour racolage. Aucun d’entre eux n’avait de papiers d’identité mais il est apparu que 60 d’entre eux venaient de Roumanie - 53 garçons et 7 filles. La majorité des 83 enfants étaient âgés de 16 ans ou plus.
Organisations non gouvernementales24. Le Rapporteur spécial a rencontré des membres de plusieurs ONG qui s’occupent des enfants des rues, des enfants qui se prostituent ou des jeunes victimes de la traite. Les ONG ont confirmé que le nombre d’enfants qui se prostituaient était en hausse et elles avaient le sentiment que les autorités avaient conscience de l’ampleur croissante du problème.
25. Certaines des ONG opèrent en envoyant des équipes d’éducateurs dans la rue pour tenter de gagner la confiance des enfants en nouant des liens avec eux. Toutefois, les éducateurs se rendent souvent comptent que les enfants font partie d’un réseau qui les surveille de près et qu’il est donc difficile de prendre contact avec eux. Lorsqu’ils y parviennent, ils invitent les enfants à venir dans leur bureau où ils peuvent se nourrir, recevoir des soins de santé de base et parler au personnel qui les encourage à envisager d’autres modes de vie. Une fois que le contact a été pris, les éducateurs tentent de voir l’enfant chaque jour. Une ONG a indiqué qu’elle accueillait quotidiennement dans son centre de 20 à 40 enfants qui venaient des squats dans lesquels ils vivaient dans la banlieue parisienne; son programme s’étendait à la ville tout entière. Elle accueillait des enfants d’Afrique de l’Ouest et d’Europe orientale, mais aussi des enfants qui venaient d’Inde, du Bangladesh et de Chine.
26. Le Rapporteur spécial a reçu des informations sur les problèmes particuliers des jeunes victimes de la traite qui arrivaient non accompagnés, des migrants pour des raisons économiques et des demandeurs d’asile en France. Les études montrent qu’environ 35 % des enfants dans ce cas arrivent par avion, 30 % par train, 20 % par bateau et 15 % à pied. Un grand nombre d’entre eux ont accepté auparavant de payer aux trafiquants un prix qui représente parfois plus de 10 années de travail en Europe mais doivent, s’ils sont renvoyés, rembourser leur dette dans leur pays d’origine ce qui peut les conduire à une vie entière d’esclavage. La situation dans laquelle certains de ces enfants se trouvent lorsqu’ils arrivent en France et sont placés dans les «zones d’attente» des aéroports français est particulièrement préoccupante. Dans ces zones, qui ne sont pas considérées comme étant en territoire français, les enfants se trouveraient dans un vide juridique; ils y sont «retenus» plutôt que «détenus», et tombent sous le coup de la loi applicable aux adultes. Un grand nombre d’enfants qui n’ont pas de papiers en bonne et due forme sont immédiatement renvoyés dans le pays dont ils sont censés venir, alors que d’autres peuvent être «retenus» dans les «zones d’attente» pendant une période pouvant aller jusqu’à quatre jour avant de comparaître devant un tribunal.
27. Après sa mission en France, le Rapporteur spécial a reçu le témoignage de deux garçons chinois âgés de 14 et 15 ans qui sont arrivés à Paris en janvier et mars 2003, respectivement, et reçoivent actuellement l’aide d’ONG. On trouvera leur témoignage dans les paragraphes suivants.
28. Enfant «Y. M.»:
« Je suis arrivé avec quatre autres Chinois - trois filles et un garçon âgés de 16 à 18 ans. On nous a fait entrer dans une pièce, et le lendemain la police nous a dit que nous serions renvoyés à Singapour. Nous ne voulions pas partir et nous avons pleuré car, dans la zone d’attente, on nous avait dit qu’à Singapour nous serions jetés en prison. Dans la voiture, en route vers l’avion, nous nous sommes accrochés et nous avons résisté en criant et finalement l’avion est parti sans nous. La police nous a enfermés dans une petite pièce sans fenêtre. C’était le matin. La police nous a frappés, y compris les filles. Nous n’avons rien eu à manger ni à boire jusqu’au soir. Vers 2 heures du matin, la police nous a ramenés dans la petite pièce où nous sommes restés pendant deux jours. ».
29. Après cette épreuve, les enfants ont comparu devant un tribunal. Avant de parler au juge, le garçon a rencontré une jeune chinoise qui était née en France et qui lui a conseillé de dire au juge qu’elle était sa cousine. C’est ce que le garçon a fait, et il a été libéré. Il a été emmené dans un foyer puis pris en charge par une ONG.
30. Enfant «W»:
« Je suis né en 1987, à Quing Tian. Mes parents sont agriculteurs. J’ai dû quitter l’école à 13 ans et commencer de travailler parce que mes parents étaient pauvres et n’avaient pas les moyens de payer mes études. Ils m’ont envoyé travailler dans la ville de Wenzhou, dans un atelier de couture. J’y ai travaillé pendant près de trois ans, sept jours par semaine de 6 heures du matin à 10 heures du soir. Je gagnais 400 yen par mois, somme sur laquelle 100 yen seulement (environ 15 euros) m’étaient versés directement. Le reste était versé à mes parents. Mon patron a suggéré que j’aille en France parce que j’y gagnerais davantage. J’ai accepté parce que je n’avais aucune raison de rester en Chine. Mon patron a organisé mon voyage et payé mon billet d’avion. Dès que je serais arrivé en France, l’un de ses amis devait me trouver du travail.
Je suis arrivé à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle en mars 2003, un matin de bonne heure. Je ne sais pas quelle compagnie aérienne m’a transporté ni le numéro du vol, mais seulement que j’ai quitté Beijing et suis allé en Guinée où j’ai changé d’avion avant d’arriver à Paris. Un passeport m’avait été remis, mais je ne sais pas s’il contenait un visa parce que je ne sais pas à quoi cela ressemble. La police m’a pris mon passeport et celui-ci ne m’a pas été rendu.
À mon arrivée, la police m’a demandé par l’intermédiaire d’un interprète, si je voulais retourner en Chine. J’ai refusé. L’interprète est reparti. Deux policiers ont essayé de me mettre dans un avion. J’étais menotté à l’un des policiers et j’ai mordu l’un d’eux au bras. Trois autres policiers sont arrivés et tous les cinq m’ont battu et tapé sur le dos, la poitrine et le visage. Cela a duré une quinzaine de minutes dans un couloir sans fenêtre situé près de l’avion.
Toujours menotté, j’ai été emmené à un poste de police où je suis resté deux heures. Trois autres étrangers s’y trouvaient également. J’ai été tapé à plusieurs reprises par les policiers. Ils m’ont ensuite emmené chez un docteur qui m’a demandé où j’avais mal. Il a examiné mon visage et mes mains et a établi un certificat que la police a gardé. J’ai été ensuite ramené au poste de police. Un autre interprète est arrivé et m’a demandé ce qui s’était passé. Je le lui ai dit et il m’a demandé de signer quelque chose mais je n’ai pas compris ce que c’était. Dans la soirée, j’ai été emmené à un hôpital et examiné par un docteur. À mon retour, j’ai été enfermé dans une salle avec une centaine d’autres personnes. Nous étions si nombreux qu’il n’était pas possible de se coucher pour dormir.
Pour aller aux toilettes, nous devions former un groupe assez nombreux pour que les policiers acceptent de nous y accompagner. Je suis resté dans cette salle cinq jours durant. Je n’ai été autorisé à en sortir qu’une seule fois, le quatrième jour, pour être présenté à un juge qui a refusé de me libérer. Après cinq jours, j’ai été transféré dans une salle où il y avait cinq lits mais où se trouvaient déjà sept ou huit autres Chinois. La police a essayé de nouveau de me mettre dans un avion pour la Chine mais ils n’ont pas eu le temps de nous faire tous monter. Finalement, six seulement de mes compatriotes ont été mis dans l’avion.
Après 12 jours dans la “zone d’attente”, j’ai été présenté à un autre juge qui m’a remis en liberté parce que j’étais mineur. Lorsque l’interprète m’a dit que j’étais libre, je suis parti immédiatement sans retourner dans la “zone d’attente” prendre mes affaires. Je me suis rendu à Paris à pied et j’ai dormi de nombreuses nuits dans les rues. J’avais quelques dollars pour acheter de la nourriture. Quelques Chinois que j’ai rencontrés m’ont parlé d’une association qui pourrait m’aider et je suis donc arrivé à leur centre d’accueil.».
III. LA PORNOGRAPHIE IMPLIQUANT DES ENFANTS ET
LES ABUS SEXUELS À L’ENCONTRE D’ENFANTS
31. Le Rapporteur spécial s’est entretenu avec la Division nationale de la police chargée de la répression des atteintes aux personnes et aux biens, composée de cinq fonctionnaires, qui s’occupe de certaines agressions contre les mineurs. La Division s’occupe principalement des infractions commises à l’étranger, en particulier, celles relevant de la pornographie impliquant des enfants, et reçoit des renseignements de services de police étrangers concernant des Français soupçonnés d’actes pédophiles. S’agissant de la pornographie impliquant des enfants sur l’Internet, lorsque l’adresse IP (Protocole Internet) est identifiable, la Division s’efforce de retrouver l’adresse physique de la personne concernée puis l’appréhende, fouille l’ordinateur et tente d’identifier l’enfant (ou les enfants) impliqué(s). Des opérations récentes ont permis d’identifier des enfants en Russie, aux États-Unis et aux Pays-Bas, dont certains avaient été photographiés dans des studios professionnels de photographie.
32. La Division reçoit chaque année des milliers d’adresses électroniques de localisateurs de ressources uniformes et réussit à en identifier quelques centaines. Chaque année, le travail de la Division permet de procéder à 40 ou 50 arrestations. La gamme des personnes qui consultent des sites pornographiques impliquant des enfants va d’étudiants guidés par la curiosité à des personnes qui recherchent de la pornographie dure. Normalement, la Division n’engage pas des poursuites si elle trouve une ou deux images sur un ordinateur. En revanche, si elle en trouve beaucoup, des poursuites sont engagées contre l’intéressé.
33. La Division a indiqué qu’environ un million d’images d’actes pornographiques impliquant des enfants sont disponibles à l’échelle mondiale et qu’elle collabore avec Interpol, l’Office européen de police (Europol) et la Gendarmerie nationale pour i) déterminer quelles images sont déjà connues; ii) classer les images en catégories et iii) identifier les victimes et les coupables. La Division a indiqué qu’elle avait découvert l’existence de liens très étroits entre des individus impliqués dans la pornographie et, dans certains cas, des membres du corps judiciaire.
34. La Brigade des mineurs s’occupe également de la question de la pornographie impliquant des enfants mais n’est pas légalement habilitée à infiltrer les réseaux pédophiles et pornographiques. La Brigade a émis des doutes quant à l’existence de «réseaux» pornographiques impliquant des enfants en tant que tels, mais a reconnu que nombre d’adultes sur lesquels elle avait enquêté pour possession et distribution d’images pornographiques avaient des relations sociales très influentes.
35. Avant et pendant son séjour en France, le Rapporteur spécial a reçu des informations selon lesquelles l’élaboration de matériel pornographique impliquant des enfants français était souvent liée à des abus sexuels infligés à des enfants au sein du foyer. Il a reçu des allégations selon lesquelles des parents et amis de la famille commettaient des abus sexuels sur des enfants et, parfois, confectionnaient du matériel pornographique à partir de ces actes.
36. Dans sa note préliminaire, le Rapporteur spécial a indiqué avoir été informé de l’existence d’un CD-ROM contenant 8 000 images pornographiques appelé CD-ROM «Zandvoort», du nom de la ville néerlandaise dans laquelle il a été découvert. Un certain nombre de parents français y auraient vu des images de leurs enfants. Les autorités françaises ont examiné le CD-ROM et l’ont transmis aux autorités des autres pays qui à leur avis étaient concernés, mais ont conclu que ces images dataient des années 70. Toutefois, certains parents contestent cette conclusion, faisant valoir que certaines des photos contiennent des preuves montrant clairement qu’elles ont été prises récemment. Le Rapporteur spécial a été informé que le CD-ROM n’avait pas été officiellement envoyé à Interpol pour être examiné par ses experts et comparé à des images de sa base de données, ce qui aurait vraisemblablement permis d’établir l’âge des photos. Dans sa réponse du 4 avril 2003 à la note préliminaire du Rapporteur spécial, le Gouvernement a indiqué que le CD-ROM avait été envoyé à Interpol en 1998 par les autorités néerlandaises. Toutefois, Interpol a indiqué qu’il n’en avait reçu qu’une copie provenant d’une ONG suisse et que les autorités néerlandaises l’avaient simplement envoyé aux pays qui lui paraissaient concernés.
En outre, Interpol a indiqué qu’il appuierait toute enquête nationale et que, s’il recevait le CD-ROM assorti d’une demande officielle émanant d’un organe national chargé de l’application des lois, il l’examinerait en se référant à sa base de données. En conséquence, le Rapporteur spécial recommande de nouveau que la police française adresse à Interpol une demande officielle de cette nature.
37. Concernant la pornographie impliquant des enfants, le Gouvernement a indiqué au Rapporteur spécial que la législation avait été modifiée en vue d’englober toute représentation d’un enfant. Des poursuites peuvent donc être engagées à l’encontre tant des diffuseurs que des concepteurs de telles images non réelles. En outre, la loi du 17 juin 1998 érige en circonstances aggravantes l’utilisation d’un réseau de télécommunication tel Internet pour commettre certaines infractions à caractère sexuel contre des enfants.
38. Un site gouvernemental interministériel (www.internet-mineurs.gouv.fr) a été mis en ligne en novembre 2001. Les internautes ont accès à un formulaire de signalement en ligne et à une adresse e-mail. Le site Web offre des liens entre les Ministères de la justice, de l’intérieur, de la défense et de la famille et envoie les signalements à une base de données gérée par l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication. De nombreux signalements sont transmis à Interpol lorsque les sites sont établis à l’étranger et au parquet territorialement compétent lorsque les actes consécutifs d’infractions pénales sont commis sur le territoire national.
Cas transmis au Gouvernement français39. À titre d’exemple des sujets de préoccupation qui ont été portés à l’attention du Rapporteur spécial et signalés au Gouvernement français, trois cas sont décrits ci-après.
Cas no 1: enfant S40. Le 26 avril 2002, le Rapporteur spécial a adressé au Gouvernement français une lettre concernant la situation de l’enfant S, né en 1998, qui, selon les informations reçues, avait été victime d’abus sexuels et utilisé pour la réalisation de films et photographies pornographiques.
Ses parents étaient séparés et les abus auraient été commis par le père dans le cadre de l’exercice de son droit de visite. En mars 1998, l’enfant a été examiné par un médecin qui a confirmé qu’elle avait été abusée sexuellement et, en juin de la même année, le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Paris a réduit le droit d’accès du père à l’enfant à une visite, le samedi après-midi, une semaine sur deux, sous surveillance. Tout en reconnaissant que ces mesures avaient été prises sachant que l’enfant courrait le risque d’abus sexuels, le Rapporteur spécial restait préoccupé par le fait que l’enfant était apparemment forcée, contre son gré, à passer du temps avec son père. Apparemment, elle était très angoissée et perturbée avant chaque visite. En 2001, l’enfant S aurait été identifiée par la National Crime Squad britannique comme étant le sujet d’une photographie pornographique.
41. Le 24 septembre 2002, le Gouvernement français a répondu au Rapporteur spécial lui indiquant qu’une enquête avait été effectuée en 1998 à la suite des allégations d’abus sexuels et, qu’en 1999, le parquet de Paris avait classé les plaintes sans suite faute de preuves suffisantes.
Une enquête était en cours en vue d’établir si l’enfant était bien la personne qui figurait sur les documents pornographiques et le père était entendu en qualité de témoin mais n’était pas en examen. Le Gouvernement a indiqué en outre que la mère n’avait formulé aucune demande visant à modifier ou supprimer le droit de visite du père.
Cas no 2: enfant P42. Le 31 juillet 2002, le Rapporteur spécial a adressé au Gouvernement français un appel urgent concernant la situation d’une femme qui s’était rendue en Suisse avec son enfant, P, né en 1997. L’intéressée avait porté plainte contre son ex-compagnon, le père de l’enfant, pour abus sexuels sur l’enfant. Cette plainte avait été classée sans suite bien qu’un médecin lui ait apparemment confirmé que l’enfant avait été abusé sexuellement. Plutôt que de continuer de remettre l’enfant à son ex-compagnon conformément au droit de visite de ce dernier, l’intéressée s’est rendue en Suisse pour y demander l’asile politique. Peu après son départ de la France, elle a été condamnée par le Tribunal correctionnel de Paris à un an de prison ferme pour non-présentation de l’enfant à son père. Un mandat d’arrêt international a été délivré et elle a été arrêtée en Suisse en juin 2002. Son enfant a été placée dans un foyer d’hébergement spécialisé pour enfants de son âge. La mère aurait entamé une grève de la faim. Dans sa lettre, le Rapporteur spécial a demandé au Gouvernement français de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger l’enfant contre les abus sexuels et pour donner à la mère l’assurance que de telles mesures seraient prises.
43. Dans sa réponse, en date du 8 novembre 2002, le Gouvernement français a confirmé que la mère de l’enfant avait déposé une plainte en février 2000 contre son ex-compagnon pour abus sexuels à l’encontre de l’enfant P, mais que le certificat médical n’avait révélé aucune lésion traumatique gynécologique chez l’enfant. La Brigade des mineurs de Paris a procédé à une enquête et entendu le père de l’enfant. Ensuite, la mère de l’enfant a fait examiner l’enfant par un médecin différent après chaque visite avec le père sans qu’aucun traumatisme gynécologique ait pu être constaté. La plainte a été classée sans suite en juillet 2000. En novembre 2001, le juge aux affaires familiales a maintenu l’exercice conjoint de l’autorité parentale et fixé le droit de visite du père à une fin de semaine sur deux, un mercredi sur deux, la moitié des petites vacances scolaires et 15 jours durant les vacances d’été. Le Gouvernement a indiqué que la mère ayant refusé de se conformer à cette décision, le père avait déposé une plainte.
44. Le Gouvernement a indiqué qu’il considérait, vu l’enquête effectuée par la police, que les allégations d’abus sexuels n’étaient pas fondées, et qu’il convenait de noter que la mère, au lieu de faire appel de la décision rendue par le juge en novembre 2001, avait décidé de quitter la France.
Cas 3: enfant L45. À la suite de sa mission, le 12 décembre 2002, le Rapporteur spécial a adressé au Gouvernement français un appel urgent, conjointement avec le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression. Cet appel concernait la situation de l’enfant L, né en 1993. D’après les informations reçues, ce garçon avait été abusé sexuellement par son père dès l’âge de 3 ans.
Des abus sexuels auraient été confirmés en 1996 par des médecins et psychiatres spécialisés qui ont estimé que l’enfant souffrait d’une maladie sexuellement transmissible. L’enfant aurait affirmé que son père et d’autres individus avaient réalisé des films et des photographies pornographiques de lui. D’après les informations reçues, le garçon avait affirmé de façon constante qu’il ne voulait pas vivre avec son père à la garde duquel il avait été confié. Il subirait continuellement des agressions émotionnelles et physiques commis par son père et serait devenu suicidaire.
46. Dans sa réponse datée du 5 février 2003, le Gouvernement a indiqué qu’à la suite de la plainte déposée en 1996 par la mère de l’enfant L contre le père de l’enfant, le garçon avait subi un examen médico-psychiatrique qui n’avait pas confirmé qu’il était victime d’abus sexuels.
En conséquence, la plainte contre le père a été classée sans suite. La mère a alors saisi en référé le juge aux affaires familiales pour faire suspendre le droit de visite du père. Cette demande a été rejetée.
47. En 1998, la cour d’appel a fixé la résidence de l’enfant chez son père et a accordé à la mère un droit de visite et d’hébergement. Dans sa réponse, le Gouvernement a indiqué que les psychiatres et les psychologues qui avaient examiné l’enfant estimaient que ce dernier avait mal interprété des gestes tendres ou maladroits de son père et que la mère, qui avait été également examinée par un psychiatre, s’était persuadée que son fils subissait des abus. En 2000, la mère a de nouveau déposé une plainte contre le père pour abus sexuels, au vu d’une photographie extraite d’un CD-ROM contenant de nombreuses images pornographiques sur laquelle elle aurait reconnu son fils. Le juge aux affaires familiales a alors fixé la résidence de l’enfant chez la mère et accordé au père un droit de visite s’exerçant dans un lieu neutre. Cette décision a été réformée par la cour d’appel qui a estimé qu’il n’existait aucun élément nouveau permettant de modifier la décision initiale de fixer la résidence de l’enfant chez son père, et que l’enquête avait révélé que l’enfant représenté sur le CD-ROM n’était pas l’enfant L.
48. Dans les trois cas susmentionnés, le Rapporteur spécial a continué de recevoir des informations émanant des mères des enfants et des ONG travaillant avec les familles, indiquant qu’elles continuaient de considérer que les enfants restaient exposés à des risques d’abus sexuels et/ou émotionnels.
49. Le 6 mai 2003, le Rapporteur spécial a soumis au Gouvernement français 13 nouveaux cas. Comme pour les trois cas présentés ci-dessus, le Rapporteur spécial n’est pas en mesure de juger quant au fond chaque élément de preuve qui lui est soumis à leur sujet. Cependant, les similitudes entre de nombreuses allégations qui lui ont été présentées suscitent chez lui des préoccupations persistantes quant à la manière dont de telles situations sont traitées par la justice française.
50. Dans sa lettre du 6 mai 2003 et dans les 13 nouveaux cas soumis à cette date, le Rapporteur spécial a évoqué les énormes difficultés auxquelles sont confrontées les personnes, en particulier les mères, qui portent plainte contre ceux qu’elles soupçonnent d’abuser de leurs enfants sachant qu’elles s’exposent à des mesures éventuelles pour accusations fallacieuses, mesures qui, dans certains cas, peuvent conduire à la perte de la garde de leur(s) enfant(s). Certaines de ces mères utilisent les voies de recours légales jusqu’à ce qu’elles n’aient plus les moyens de payer les frais d’assistance juridique; il leur reste alors seulement le choix entre continuer de remettre l’enfant à celui qui, selon elles, abuse d’elle ou de lui, ou de chercher refuge avec l’enfant à l’étranger.
Il semblerait même que certains juges et avocats, conscients des faiblesses du système judiciaire, ont conseillé officieusement à certains parents d’agir de la sorte. Ces parents s’exposent à des poursuites pénales pour de tels actes en France et, souvent, dans le pays où elles se rendent.
51. Il a été signalé au Rapporteur spécial que la crédibilité des allégations faites par les mères concernant les abus sexuels commis contre leurs enfants était contestable du fait qu’elles étaient invariablement émises au cours de procédures de divorce. Cela laisse entendre que de telles allégations seraient un moyen d’obtenir que la garde de l’enfant soit confiée à la mère.
Le Rapporteur spécial est conscient de cette possibilité et a été informé que, dans certains cas, des avocats auraient conseillé à leurs clients de faire de telles fausses allégations. Toutefois, dans au moins plusieurs cas qui ont été présentés au Rapporteur spécial, un examen particulièrement approfondi de certaines des raisons pour lesquelles les parents divorçaient a révélé l’existence d’abus systématiques au sein de la famille, y compris des violences contre la mère. En conséquence, peut-être serait-il plus exact d’envisager la question des abus sexuels sur l’enfant comme étant l’une des raisons, sinon la principale raison du divorce. Il importe également de noter que dans certains cas portés à l’attention du Rapporteur spécial, des accords concernant la garde avaient déjà été conclus d’un commun accord et qu’aucune des parties n’avait un motif apparent de porter de fausses accusations contre l’autre.
52. Dans plusieurs cas qui ont été communiqués au Rapporteur spécial, il a été signalé que les individus accusés de commettre des abus étaient étroitement liés à des membres de l’appareil judiciaire ou à des individus occupant de hautes fonctions dans l’administration publique, qui étaient en mesure d’influencer l’issue des procédures à leur détriment, argument qui avait été également formulé par la Division nationale pour la répression des atteintes aux personnes et aux biens.
53. Depuis la visite du Rapporteur spécial en France, d’autres cas ont été portés à son attention mais tous n’ont pas été transmis au Gouvernement français. Certains étaient dépourvus de détails importants et les personnes concernées n’ont pas pu être contactées pour fournir des éclaircissements. Certains cas n’ont pas été traités car les allégations ne relevaient pas du mandat du Rapporteur spécial, par exemple ceux comportant l’enlèvement d’un enfant par l’un de ses parents, qui n’étaient pas liés à une exploitation sexuelle, ou les cas de sévices physiques non sexuels. Il continuera de porter à l’attention du Gouvernement français les cas relevant de son mandat qui pourront lui être signalés.
Droits de l’enfant d’être entendu54. Le Rapporteur spécial juge particulièrement préoccupantes des informations selon lesquelles l’enfant n’a pas le droit d’être automatiquement entendu dans le cadre des procédures civiles visant à fixer la garde de l’enfant. Quoique les tribunaux civils aient la possibilité d’entendre l’enfant lorsque le Président du tribunal le juge utile, il semblerait que l’enfant ne soit pas entendu dans la quasi-totalité des cas. Toutefois, dans sa réponse du 3 avril, le Gouvernement a affirmé ce qui suit:
« Au-delà de la parole de l’enfant qui peut être prise en compte et restituée au juge, l’audition de l’enfant par le magistrat personnellement peut toujours être ordonnée. Lorsque le mineur en fait lui-même la demande, cette audition ne peut être refusée que par une décision spécialement motivée. Des dispositions particulières sont par ailleurs prévues quant au déroulement de cette audition puisqu’aux termes de l’article 388-1 du Code civil, l’enfant peut être assisté d’un avocat ou de toute personne de son choix. Cependant, afin de prévenir les risques de pression d’un adulte et garantir, dans la mesure du possible, la libre expression de l’enfant, il est prévu que si ce choix n’apparaît pas conforme à son intérêt, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne. L’intervention de l’administrateur ad hoc chargé d’accompagner et de représenter le mineur victime tout au long de la procédure en cas d’opposition d’intérêt entre le mineur et ses représentants légaux est possible.
Depuis la loi du 17 juin 1998 (entrée en vigueur) l’enfant victime peut être accompagné par un psychologue, un médecin spécialiste des enfants, un membre de sa famille ou l’administrateur ad hoc désigné ou même par une personne mandatée par le juge des mineurs, lorsqu’il est entendu au cours de la procédure ou de l’enquête.
L’audition des enfants victimes peut être filmée par enregistrement audiovisuel. Cette nouvelle disposition permet notamment d’éviter des auditions successives de l’enfant dont le caractère traumatisant pour l’enfant a souvent été révélé. ».
Formation des membres de l’appareil judiciaire aux droits de l’enfant55. Dans sa note préliminaire, le Rapporteur spécial soulignait que le manque de ressources, de formation et de spécialisation dont souffraient les juges et les avocats s’occupant d’affaires de sévices sexuels contre des enfants faisait que les droits de l’enfant impliqué dans les poursuites judiciaires n’étaient parfois pas suffisamment protégés et qu’il s’ensuivait que les enfants concernés risquaient souvent de continuer à subir des sévices. Le Ministère de la justice a reconnu que la majorité des magistrats s’occupant de ce type d’affaires avaient été formés à une époque où l’on n’attachait pas l’importance voulue à la question des abus sexuels sur enfant et qu’une formation en la matière devait désormais faire partie intégrante de leur formation professionnelle supérieure. Le processus est engagé mais il est probable qu’un certain temps s’écoulera avant que ses résultats ne deviennent perceptibles.
56. Dans sa réponse en date du 3 avril, le Gouvernement a fait valoir ce qui suit:
« L’École nationale de la magistrature est mobilisée sur cette problématique et organise des sessions de formation continue sur ce thème afin que l’enregistrement audiovisuel assure pleinement son rôle initial, à savoir la diminution du nombre d’auditions des mineurs victimes, qui peuvent être particulièrement traumatisantes. ».
57. Le Gouvernement a signalé qu’au stade de la formation initiale dispensée à l’École nationale de la magistrature, à Bordeaux, les auditeurs de justice bénéficient lors de leur scolarité (neuf mois) d’une formation de base en matière de psychologie de l’enfant et d’abus sexuels, de maltraitance physique et psychologique, formation dispensée par des experts judiciaires, médecins hospitaliers, psychiatres et psychologues. Durant leur stage en juridiction (12 mois), les futurs magistrats sont conduits à appréhender la situation des enfants victimes au travers de toutes les fonctions judiciaires.
Professionnels de la santé et autres professionnels travaillant avec les enfants58. Le Rapporteur spécial est préoccupé non seulement par la vulnérabilité particulière des parents, en particulier des mères, qui intentent des actions en justice à l’encontre d’auteurs présumés d’abus sur leurs enfants, mais aussi par la situation des professionnels de la santé soucieux de protéger un enfant ou appelés à déterminer la véracité d’allégations d’abus sexuels en procédant à un examen médical ou psychiatrique de l’enfant.
59. Dans sa note préliminaire, le Rapporteur spécial constatait: «Les personnes
qui soupçonnent et signalent des cas de sévices à enfant peuvent se voir accuser de mentir ou de manipuler les enfants concernés et risquent des poursuites ou des sanctions administratives pour diffamation si leurs allégations n’aboutissent pas à des poursuites suivies de la condamnation de l’auteur présumé des sévices. En particulier, les professionnels de la santé encourent des risques dans ce domaine et rien n’indique que les médecins bénéficient de l’aide et du soutien du Conseil national de l’Ordre des médecins.» (par. 14). Le Rapporteur spécial tient à reformuler son constat pour préciser que les personnes se trouvant dans cette situation s’exposent à des poursuites non pas pour «diffamation» mais pour «dénonciation calomnieuse». Il a recommandé que le Conseil national de l’Ordre des médecins revoie de toute urgence ses procédures de façon à soutenir au lieu de les condamner les médecins qui font part de leurs soupçons de sévices à enfant.
60. Le Conseil national de l’Ordre des médecins a adressé au Rapporteur spécial une lettre, en date du 19 mars 2003, dans laquelle il déplore que le Rapporteur spécial n’ait pas pris contact avec l’Ordre pour vérifier la véracité de son information.
61. Dans une lettre adressée au Conseil national de l’Ordre des médecins, en date du 23 mai 2003, le Rapporteur spécial a présenté ses excuses pour n’avoir pu rencontrer les représentants de l’Ordre national des médecins lors de sa venue en France en raison de la surcharge de son emploi du temps lors de sa courte visite de trois jours à Paris. Il a remercié à nouveau le Conseil de l’Ordre des informations qu’il lui avait adressées en janvier 2002 et sur lesquelles il s’était pour une bonne part fondé pour se forger une opinion. Il a invité les praticiens à lui transmettre toutes informations pertinentes.
62. Dans sa lettre, le Conseil national de l’Ordre des médecins signalait au Rapporteur spécial qu’aux termes de l’article 44 du Code de déontologie médicale lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. S’il s’agit d’un mineur de 15 ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives.
63. En revanche, lorsqu’il rédige le certificat de signalement destiné au Procureur, le médecin ne peut signaler que les faits authentiquement constatés par lui et ne peut désigner le coupable présumé de la maltraitance que telle ou telle personne lui signale. Il ne peut que citer, comme lui ayant été rapportées et avec la prudence nécessaire, les déclarations de la victime ou d’un tiers. Le médecin doit pouvoir rester un témoin neutre et impartial dans ces circonstances souvent dramatiques, ceci dans l’intérêt à la fois (son témoignage doit pouvoir faire foi) de la victime et de la justice.
64. Dans sa réponse, en date du 3 avril 2003, le Gouvernement fait observer ce qui suit:
« La recommandation présentée [par le Rapporteur spécial] apparaît périmée dans la mesure où la loi du 17 janvier 2002 prévoit que “aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait de signalement de sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues au présent article”. Le Conseil national de l’Ordre a diffusé à cet
effet en date du 25 février 2002 à l’ensemble des présidents et secrétaires généraux des
conseils régionaux de l’Ordre une note destinée à informer l’ensemble des médecins des
nouvelles dispositions législatives.
En dépit de son obligation au secret, dont la violation est réprimée à l’article 226-13 du Code pénal, le médecin, comme tout citoyen, doit dénoncer au Procureur de la République les crimes dont il peut avoir connaissance à l’occasion de l’exercice de ses activités professionnelles et ne peut faire l’objet à ce titre de sanctions disciplinaires (loi du 17 janvier 2002: “aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait de signalement de sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues au présent article”). ».
65. En avril 2003, le Rapporteur spécial a reçu un exemplaire d’une pétition adressée en août 2003 au Ministre de la santé et au Ministre de la justice, par 157 médecins, en particulier des pédiatres, dont 32 chefs de service ou département et 22 universitaires ou médecins hospitaliers. Dans cette pétition, les signataires se plaignent de ne plus pouvoir faire leur travail de dépistage des enfants faisant l’objet de sévices sexuels car il devient dangereux pour eux d’alerter les autorités judiciaires. Ils y constatent que des médecins continuent à faire l’objet de poursuites et de condamnations disciplinaires par le Conseil de l’Ordre alors que s’abstenir volontairement de signaler afin d’éviter des poursuites et des condamnations disciplinaires en justice revient à prendre le risque d’être condamné pour le délit de non-assistance à personne en danger et que par conséquent des enfants risquent de continuer à subir des sévices sexuels et d’être contraints d’attendre leur majorité pour déposer leur plainte.
66. Dans cette pétition il est en outre demandé de changer de toute urgence la loi
et d’adopter des mesures claires de protection juridique des médecins et professionnels de l’enfance maltraitée - en particulier il y est demandé que la modification de l’article L.4124-6 du Code de la santé publique promulguée le 17 janvier 2002 soit supprimée et que soient interdites non seulement toutes actions disciplinaires mais toutes actions en justice à l’encontre de tous professionnels de l’enfance qui, de bonne foi, alertent les autorités judiciaires.
à suivre PAGE 2