PEUT-ON S'HABITUER À TOUT ?Namazu, le gros poisson chat qui dort sous le Japon et se réveille parfois très brutalement. Un autre français qui vit au Japon, une autre sensibilité, une autre approche, mais un même amour pour ce pays qu'ils ont adopté, la même détresse face à la catastrophe qui a frappé ce pays unique...Peut-on s'habituer à tout ?
(vendredi 9 avril) Voilà une question qui pourrait faire un excellent sujet de philosophie au baccalauréat. Le Japon m'offre en ce moment un espace de réflexion grandeur nature... Voilà presque un mois, comme le rappelait TerebiAsahi ce matin, le nord du pays subissait le plus violent séisme jamais enregistré, suivi d'un ras de marée dévastateur, avant de connaitre un accident nucléaire qui continue encore aujourd'hui et dont l'issue reste incertaine. Pour chacun, ici à Tôkyô, mais certainement encore plus dans le nord, le retour à la vie normale s'apparente à un travail de volonté et de reconstruction des gestes du quotidien. Une étudiante me confiait jeudi qu'elle a eu une semaine de profonde dépression, qu'elle ne pouvait plus sortir de chez elle, et que les images à la télévision la culpabilisait, qu'elle se sentait impuissante face à la détresse des habitants de Miyagi et Fukushima alors qu'ici, malgré certaines restrictions, le quotidien reprenait sa place. Et puis elle a fini par penser que ce n'était pas sa faute, et elle a accepté la situation comme elle était, mais avec un sentiment étrange, comme elle me disait. Elle a ajouté que les décisions, un peu partout, d'ajourner ou d'annuler des festivités étaient stupides, qu'elles ne changeaient rien à la vie des gens dans le nord, si ce n'est que peut être cela pouvait créer un sentiment de culpabilité, et chez nous accroitre la déprime, et que si cette déprime atteignait l'économie, cela n'aiderait personne, bien au contraire. C'est exactement ce que j'en pense.
Peut on s'habituer à tout ? Un autre étudiant qui a pris l'habitude d'écrire son journal, qu'il lit et que je corrige, ne m'a parlé que des cerisiers, du fait que c'était important, les cerisiers, cette année. Sa composition était incroyablement touchante. Yusuke est un vieux monsieur de 73 ans qui pratique le français, mais qui également chante dans deux choeurs, est accroc à la musique de Mozart, et apprend depuis peu le latin pour mieux comprendre les textes de musiques religieuses.
S'habituer-t'on à tout? La question à 10.000 yens. Aussi incroyablement que cela puisse paraitre, je pense que oui, même au pire. Les rescapés des camps d'exterminations nazis racontent tous qu'un rien égayaient leur sort, et que dans l'horreur ils parvenaient à faire de très nettes distinctions et à voir de nettes améliorations là où notre quotidien confortable de petits bourgeois ne voit que dégradation et humiliation. Ainsi, un des trucs qui m'avait le plus touché, ému, bouleversé quand j'avais lu Mauss, la bande dessinée de Art Spiegelman, c'avait été ce refrain dans le récit du père. Je crois que c'est là que ça a vraiment commencé. Quand après avoir à peu près tout connu, vu, entendu, compris, subi, il commence à raconter le récit de sa traversée de l'Europe en wagon plombé rempli jusqu'à peut plus d'autres qui, comme lui, sont physiquement et moralement épuisés, alors que l'hiver est rude, les nuits glacial, en commentant que c'est là que ça a vraiment commencé, je me souviens avoir vraiment craqué. La mécanique de la déshumanisation à cela de tragique qu'elle n'efface pas l'individu. Derrière la crasse, sous les poux, et malgré un typhus ou la malnutrition ou plus simplement l'épuisement le plus ultime, il reste dans sa pensée une dernière lueur d'espoir, ou bien les lames du désespoir ainsi que des ressources d'intelligences guidées par la nécessité, celle qui permirent à certains de s'en sortir. Le narrateur avait du sucre qu'il monnaya contre de la neige qu'un autre à côté de lui pouvait attraper sur le toit du wagon.
Eh bien ici, je m'aperçois que notre quotidien a quelque chose de similaire. Sans l'horreur des camps, bien sûr. Mais quand on vit avec la tête remplie des chiffre du jour du taux de radiation, en sachant qu'à deux cents et quelques kilomètres, il y a une saloperie en cours et prête pour durer un certain temps, on s'affole un peu au début, et puis après on s'habitue. On entend alors que des dizaines de tonne d'eau contaminée ont été versé dans l'océan. Et puis on vit avec. On en arrive à écouter les informations sur la pollution des fruits et des légumes comme des faits divers. La télévision nous enseigne parfois des choses incroyables. Comme par exemple, ce matin, que le césium ne se fixe que dans les muscles et dont ne cause pas de cancer, que les niveaux de contamination des légumes est "totalement sûr" (安全ですよね〜). J'ai regardé la vieille conne qui disait ça, son tailleur blanc impeccable et son visage de vielle japonaise de droite le sourire figé par le sourire tatemae, et je me suis demandé si elle, des légumes de Fukushima, des légumes de Miyagi, des légumes de Ibaraki, elle en mangeait. Les autres "journalistes" (je mets des guillemets car la particularité du journal télévisé à la télévision japonaise est d'être présenté par des célébrités dont certaines ont commencé en cover-girl, en acteur de dorama ou en chanteur de variété), acquiesçaient de façon très polie, comme on le fait dans ces discussion policées à la japonaise, je veux dire quand règne le tatemae. Et tout n'était que mensonge. Des avalanches de chiffres abstraits sans sens réel sans cesse ponctués de "c'est sûr". Et puis dans d'autres programmes, les mêmes qui se lâchaient comme des bêtes sur un scandale de gyôza chinois, les voilà qui voulaient que le monde continue d'importer les bons produits japonais aux doses infinitésimales de césium 137 "qui va dans les muscles et donc ne donne pas de cancer" et de iode 131 dont "la demi durée de vie n'est que de 7 jours", donc, sans aucun risque, 安全.
(mardi 12 avril) Oui, on s'habitue, et je crois que, pour le coup, le français est bien plus précis que l'anglais. Les Anglais disent en effet qu'ils se font à tout (get used to), mais ce n'est pas juste. Nous avons désormais pris l'habitude de ce qui nous entoure, des trains en retard, des secousses, de l'aspect éteint de la ville, de la désinformation grotesque des médias sur la dangerosité des aliments... Mais je ne crois pas qu'on s'y fait. Et pour preuve... Les répliques, les secousses.
Peut on s'habituer à tout. Oui, et non, si je pense aux secousses. En fait, j'avais commencé à écrire ce mémo vendredi en chemin vers l'école, mais je ne parvenais pas à me concentrer. Jeudi soir, alors que je regardais un vidéo après être rentré du travail, j'ai senti ma maison trembler. D'une façon inhabituelle. C'était très léger, comme le tremblement quand on a froid, mais là, c'était ma maison. Je me suis levé, suis allé vers l'ordinateur car j'ai immédiatement compris ce que c'était, j'ai juste eu le temps d'écrire que "c'est pas bon", je ne sais pas, au cas où je mourais,, avoir au moins écrit un truc pour dire au revoir. Certains lecteurs me diront que j'exagère. Or, j'ai suffisamment de connaissance sur la question des failles sous le Kantô pour penser que c'est possible. Ce tremblement était inhabituel, c'était comme si la secousse se retenait. Et quand j'eu commencé à écrire, alors, les secousses proprement dites ont commencé. Ma lampe s'est mise à voltiger dans tous les sens, la maison semblait se balancer, une fois à droite, une fois à gauche, pas très rapidement mais très violemment. Le mouvement s'amplifiait, j'ai commencé à avoir peur que d'un seul coup, on en aie une plus grosse. J'entendais dehors le bruit de la ville. J'ai déplacé une carafe d'eau, et je suis sorti. Sur le pas de la porte, j'ai entendu ce bruit de métal que j'avais entendu, et je me suis senti stupide. Alors, je suis re-rentré. Échanges de messages sans beaucoup de sens sur Facebook avec Yann ou Irene, nous avons tous besoin de décharger le stress, et puis la NHK en mode tremblement de terre. J'ai mal dormi ce soir là, d'où l'impossibilité de bien me concentrer sur le clavier dans le train pour écrire vendredi. Maigre consolation, le temps qui a commencé à sérieusement se radoucir vendredi. La télévision, elle, qui commence à me sortir par les trous de nez, et le gouvernement, tant je trouve criminel les messages rassurants sur les radiations, sur la sécurité concernant les légumes, car je sais que ce sont des mensonges, et je ne suis pas le seul. Les supermarchés dans mon coin sont régulièrement à court de produits du sud, mais les produits venant du nord ne trouvent pas facilement preneur. Le message est qu'il faut en manger un petit peu, que ce n'est pas dangereux si on en mange un peu, et qu'ainsi on vient en aide à la population. Les élites de ce pays n'ont pas changé depuis la fin de la guerre, et les médias relaient la propagande. Beaucoup de Japonais doutent de la crédibilité des médias internationaux qu'ils ne connaissent pas de toute façon, et qu'ils considèrent parfois comme anti-japonais. Ça, je m'y habitue, mais je ne m'y fais pas.
Dimanche, avec Jun, c'était la promenade mensuelle à Kamakura. Vous avez l'album photo pour juger. Sigma SD15, développé en brut avec Sigma Photo Pro, sans aucune retouche. Magnifique floraison. Grand soleil en fin d'après-midi. Le matin, pourtant, Jun et moi avons pourtant été réveillé par une nouvelle réplique assez forte... Je m'y habitue, je ne sais pas si je m'y fais...
Et justement, depuis ce week-end, de plus en plus de secousses. Celle de jeudi dura une minute, les répliques sont plus courtes mais brutales. Et en regardant la carte de l'Agence Météo Japonaise, il est clair que ce ne sont pas que des répliques, mais bel et bien des secousses plus au sud, vers Chiba. Hier, j'étais dans mon train, revenant chez moi, nous sortions du tunnel et franchissions le grand pont qui relie Kôtô-ku à Edogawa-ku, quand une petite voix douce (enregistrée) nous a annoncé que le train allait s'arrêter suite à une urgence. Mon téléphone a vibré, j'ai tout de suite compris. Nous nous sommes tous regardés. Je crois que c'est la première fois que je ne me suis pas du tout senti étranger. Les regards m'incluaient, je ne sais pas comment expliquer, mais les Japonais ont une faculté incroyable à ne pas voir les gens, à ne pas regarder, et parfois à vous regarder en vous ignorant... Mais là, pour le coup, la différence était très nette. J'étais avec eux. On a alors entendu la voix du conducteur qui commençait les explications, au même moment où je lisais qu'on avait un shindo 5 prévu sur Tôkyô. Mon voisin a regardé par dessus mon épaule. J'ai pris mon iPad pour voir. Et de nouveau ça a vibré, et on a commencé à onduler au dessus du vide, sur le grand pont, l'estuaire à trente mètres sous nous. J'ai pensé que si on tombait, l'eau devait être froide. Le bruit de ferraille du pont était douloureux. Mon téléphone a revibré. Mais on sentait bien que c'était fini. Alors, le conducteur nous a dit que nous resterions là jusqu'à ce que l'on soit sûr que c'était fini. Et que le train s'arrêterait à la prochaine station. La mienne. Ouf, j'ai pensé. Les regards se croisaient. Je suis assez souriant de nature, ça a décontracté la mamie en face de moi, qui a fini par me sourire et m'a fait une petite moue de lassitude. J'ai acquiescé, mais mon sourire était toujours là, alors elle a sourit vraiment. Mon voisin était épaté par toutes les informations que j'obtenais avec mon iPad. On a échangé deux mots. Juste deux mots, mais pour un Japonais, c'est une très grande conversation...
Je suis rentré chez moi, mais cette fois, j'ai été mu par une sorte de besoin d'aller faire des courses. J'ai acheté des trucs pas bon mais qui servent en cas d'urgence. Des barquettes de riz tout prêt. Des nouilles. Plein de pommes et de bananes. Il n'y avait pas d'eau, j'en ai acheté ici. Ça a re-secoué hier soir. Et de plus en plus souvent. Ce matin, j'avais décidé de me réveiller un peu tard, j'avais mis le réveil à 8 heures et demi, mais je n'en ai pas eu besoin, la maison s'est mise à secouer deux minutes avant. Brutalement, comme toujours, désormais. Je suis convaincu qu'on en a un qui arrive. Je vis avec. Je suis parti ce midi en veillant à ce que mon ordinateur, s'il tombe, ne tombe pas par terre, j'ai mis mon appareil photo dans une boite sous mes étagères, au sol. Etc. Et j'ai désormais toujours une lampe de poche avec moi... Je vais continuer mes préparatifs si je le peux. J'ai besoin de bouteilles de gaz. Je viens d'acheter de l'eau. J'ai redécouvert la valeur du mot prévention, du verbe prévoir. Ce n'est pas le séisme qui pose problème au Japon, c'est après. Et ça, on peut faire avec.
Je vous laisse admirer les photos de Kamakura. Il a fait beau toute la journée. J'ai écrit ce billet de façon décousue, grapillant une minute ici ou là. Mais je suis content de l'avoir bouclé. On sait jamais, je pourrais très bien être dans l'impossibilité d'écrire pendant plusieurs jours, qui sait...
De Tôkyô,
Madjidsource:
http://www.suppaiku.com/2011/04/peut-on-shabituer-tout.html
PENSER ET PANSER Le métro. Il fait chaud. La nuit, je dors mal, je me retourne, je me réveille et me rendors. J'ai chaud. Le matin, les yeux qui s'ouvrent, il est trop tôt mais c'est trop tard. Je ne me rendors pas. Je reste là, à demi éveillé. Je ne veux pas me lever. J'attends. Je l'attends, mais depuis deux jours elle ne vient pas. La secousse. La nuit je fais des rêves étranges et déconstruits dont j'ai du mal à émerger le matin, j'aimerais ne pas en sortir, ils ont le confort douillet des rêves. Je suis fatigué, je veux dire, vraiment, profondément fatigué. Pas de la fatigue. Un épuisement mental. Quand ça secoue, je reste debout désormais, cela m'amuse presque, et pourtant toujours mon cœur qui bat, et si c.était pour cette fois, qu'il dit, mon cœur qui bat. Des fois, je la sent bien, la secousse, ma tête oscille, mon corps vacille, et puis je regarde la bouteille d'eau, non, ce n'était qu'une illusion. Et c'est comme ça toute la journée. Je suis fatigué au fond, très profondément en moi. Mon goût pour les choses s'évapore, à quoi tout cela sert-il donc, nous allons encore sombrer. Mon Moi bien entendu ne peut penser cela, mais il y a la part enfouie qui est là, qui guète et qui me dit que tout cela est vain.
J'achète de l'eau. J'ai plein de bouteilles d'eau, à la maison. De grosses bouteilles de 2 litres. J'en achete tous les jours, et puis de l'eau gazeuse, c'est bon l'eau gazeuse, c'est un peu comme du champagne pour les pauvres, ça désaltère différemment quand il n'y a que de l'eau plate, quel luxe. J'en ai une, deux ou trois bouteilles. J'achète de l'eau peut être en vain, mais ça me rassure. Quand on a de l'eau, on est riche, on peut vivre encore un peu par soi-même sans être un mendiant, un de ceux dont nous voyons les visages hagards à la télévision, tendant leur gamelle en plastique, même que je ne regarde plus la télévision. J'achète de l'eau et je me rends compte que le petit bourgeois occidental que je suis en a perdu la valeur, on ouvre le robinet, on gâche, et trouve Brian Kenny terriblement sexy quand il se vide une bouteille de 500 ml sur le visage en revenant de boite. Ça doit être dur, ne pas avoir d'eau. J'achète de l'eau.
Hier, avec mon élève Rie, on a parlé du niveau de radiations dans les légumes, des mensonges gouvernementaux. Alors, pensant la rassurer, je lui ai montré le site que Jun et moi consultons tous les jours et rapportant les niveaux de contamination. Il est de plus en plus précis, et il y a désormais les aliments. Elle a regardé Chiba, et j'ai senti qu'elle allait pleurer, elle a lâché un timide J'ai mangé des épinards hier soir, et elle était livide. Pas que le niveau était élevé, il correspondait à un tiers du niveau acceptable, mais cumulé avec le reste, et sur des mois, elle est intelligente, le calcul a été vite fait. Et le plus triste est qu'elle achète ses légumes par correspondance, comme beaucoup de gens, à de petits producteurs. Des légumes "bio". Et voilà que sur cette localité, les épinards dépassaient 800 becquerels quand dans d'autres endroits ils se maintenaient à zéro. J'ai vite changé de sujet, ça devient glauque. Mais en même temps, c'est important qu'il y aie des étrangers qui donnent ces outils sur la situation. Les Japonais méritent de savoir, même si la vérité est douloureuse.
Moi, je regarde d'où viennent mes produits. Je commence à connaitre la géographie du Japon. Quand je ne connais pas le département, sa situation, je sors mon iPhone et je recherche sur Wikipédia. C'est très utile, savoir lire les kanjis. Le paradis peut alors devenir Kumamoto, Kôchi, Myazaki... Et l'enfer est indéniablement Miyagi, Ibaraki. Quelle tristesse pour ces petits producteurs, et ils sont nombreux, qui vont voir les ventes baisser inexorablement. Mais je ne suis pas pour l'empoisonnement solidaire. Le purgatoire, c'est Chiba, où les niveaux ne sont qu'"acceptables". Et où la rumeur dit que le lait est contaminé. En fait, juste un peu. En Europe, on le vendrait. Au Canada, on le jetterait. Je suis un peu Canadien, j'achète du lait de Hokkaidô. Même si avec le changement de temps, il va falloir faire attention à Hokkaidô...
Je dors mal. La nuit, je suis pris de crises d'angoisses que mon traitement amplifie. J'ai l'impression que la maison bouge alors qu'elle ne bouge pas.
La semaine dernière, la petite Manaka avec qui j'étais quand il y a eu le grand tremblement de terre a organisé sa ferme des animaux. J'ai fait une photo et l'ai envoyée à la maman. Elle m'a répondu hier et m'a remercié pour mes leçons. Le père, lui, m'avait remercié samedi dernier pour m'être si bien occupé de sa fille le jour du séisme.
J'achète à manger. J'ai acheté de ces barquettes de riz que je n'aime pas. Du riz tout prêt qu'il n'y a qu'à réchauffer au bain-marie. Et ça tombe bien, j'ai plein d'eau. J'en ai acheté cinq, déjà, mais je pense en acheter encore un lot de cinq, c'est un peu comme une obsession. J'ai acheté des nouilles aussi, c'est vite prêt. En fait, des choses toutes prêtes qui consomment peu d'énergie. Mince, je dois acheter des petites bouteilles de gaz, pour mon réchaud... À la télévision, il y avait une femme, après le tremblement de terre, elle est allée faire des courses, elle a acheté deux cartons de nouilles, deux cartons de barquettes de riz, une bonne centaine de rouleaux de papier toilette, des caisses d'eau, de thé... Je pense qu'elle pourrait tenir un mois sans trop de problèmes... Elle était toute pimpante. D'autres ont fait comme elle. Et celles et ceux qui, comme moi, à ce moment, marchions à travers la ville, quand nous sommes allés faire les courses, eh bien, il n'y avait plus rien, que de la mayonnaise ou des trucs dans ce genre là, qui ne servent à rien. On vante la grande discipline japonaise, mais cette ruée sur les denrées de survie prouve bien, s'il en était besoin, que les Japonais sont comme tout le monde. C'est humain, tout simplement.
J'ai acheté plein de pommes, et je me suis promis de veiller à en avoir toujours d'avance. Dans les pommes, il y a des minéraux et des vitamines. Elles viennent d'Aomori, quasiment intacte de toute radiation, en gros. Je dis bien quasiment car bien entendu, je sais que tout le pays a été touché. Qu'est-ce que vous voulez.
J'ai beau faire, mon quotidien a beau être totalement identique à ce qu'il était avant, il y a comme quelque chose de sali. Pas une question de tristesse, de grisaille comme j'ai pu le lire ici ou là, avec justesse au demeurant. Mais bel et bien quelque chose de sali. Et s'y rajoute depuis la forte réplique jeudi dernier ainsi que celles qui ont suivi depuis une sorte d'incertitude que je compense en achetant des produits d'urgence. De l'eau surtout. Et il ne faut pas s'y tromper, la centrale de Fukushima n'est pas le soucis principal, je crois plutôt que la centrale est une sorte de décors de fond, car ce qui est plus préoccupant est simplement qu'il est fort probable que ce séisme aie suffisamment déplacé les plaques pour entrainer dans sa foulée d'autres séismes. On reparle ainsi de nouveau du tremblement de terre attendu dans le centre du Japon, dans le Tôkai, entre Shizuoka et Nagoya. Un tremblement de terre qui enverrait l'économie mondiale dans les abysse au même moment où il tuerait des dizaines voire des centaines de milliers de personnes puisque le Tôkai est le cœur économique du Japon avec ses milliers d'usines longeant le Tôkaidô. Toyota. Sharp. Je suis l'activité sismique sur le site de l'Agence de Météorologie Nationale et heureusement, pour l'instant, rien ne donne à penser que nous soyons en danger de ce côté là, en tout cas, à brève échéance. Cela étant, les spécialistes doivent être en train de faire tourner leurs modèles et nous aurons une meilleure idée de l'évolution dans quelques mois. Le tremblement de terre du Tôkai est prévu depuis vingt ans pour être l'événement majeur du 21e siècle. Imaginez. Une côte. Et une fosse gigantesque de 7000 mètres de profondeurs. Le Fuji y culmine ainsi à quelques 10.000 mètres. Selon certains spécialistes, il ne serait pas impossible qu'un séisme violent conduise à un effondrement des côtes d'autre moins plusieurs mètres. Le tremblement de terre du Tôkai sera ressenti jusqu'à Tôkyô où il créera un tremblement de terre de magnitude 7.
Cela étant, ce n'est la à proprement parler le séisme que nous attendons. L'ennemi de Tôkyô est quelque part entre Chiba et Ibaraki, il prend la forme de la péninsule de Boso. Cette péninsule qui ferme la partie est de la Baie de Tôkyô, est poussé par la même plaque qui connait une forte activité depuis un mois et a causé le grand tremblement de terre du 11 mars. Or, dans le voisinage de la péninsule, sous Tôkyô, la complexité sismique est réelle. Des spécialistes ont même mis en évidence que la plaine du Kantô où se trouve Tôkyô est, en elle même, une plaque plus ou moins posé sur trois lignes de fractures. Tôkyô connait ainsi des séismes à intervalle régulier, le dernier est en 1923. La question que se posent les spécialistes est de savoir si le séisme a libéré de la tension, ou si au contraire désormais de la tension est accumulée sous la capitale.
Les répliques s'articulent entre le département de Nagano, loin de l'épicentre et un peu comme "à l'autre bout", dans des montagnes (ce qui est assez logique...), Miyagi et Fukushima, les deux départements exposés au séisme et au tsunami, et Ibaraki et Chiba, sur Boso, justement.
J'achète de l'eau. Je ne dors pas bien. Je contrôle l'origine des aliments. Je fais des réserves. Je porte une lampe torche à dynamo. Veille à ne pas exposer de chose fragile en hauteur. Et je m'étonne de garder le sourire. J'apprends peut être en quoi l'apparence a au Japon un poids si fort et si particulier, social. Pourquoi on garde tant pour soi.
J'ai re-re-regardé Hana no Ran, mon Ô-oku préféré, à quoi cela sert-il de faire des efforts. Je veux du facile, du simple. Je ne veux pas penser. En tout cas pas penser trop. Tiens, ce serait peut être le moment d'aller à la gym, comme Yann.
Dimanche, Jun et moi faisons un pic-nic si le temps le permet. J'oublierai ma fatigue, comme nous le faisons tous en faisant des réserve de choses utiles. En me demandant jusqu'à quand nous allons tenir comme ça. À attendre une secousse qui ne vient pas, comme vaccinés par celles que nous n'attendions pas et qui, depuis un mois, nous ont rappelé que malgré tous nos efforts pour continuer à vivre normalement, tout ne sera jamais plus comme avant.
De Tôkyô,
Madjidsource:
http://www.suppaiku.com/2011/04/penser-et-panser.html